Cela faisait quelques semaines qu'elle avait intégré la GM de la Vicomtesse Oksana de Bourmont. Si on lui avait dit qu'un jour elle entrerait au service d'une grande maison, elle aurait ri et n'en aurait rien cru.
Or, la vie réserve toujours de drôles de surprises. Tout en déballant ses affaires et ouvrant ses malles, Hersent rêvassait et se laissait envahir par des souvenirs récents...
Depuis plusieurs mois, sa vie avait changé: entre sa grossesse, inattendue (voilà ce que c'est que d'oublier d'ajouter un certain ingrédient dans sa tisane...mais elle ne regrettait rien!), son mariage avec Clemtus, elle allait de mission en retour à Varennes où la préparation de l'arrivée du bébé avançait. Elle se rendait compte que son époux avait de plus en plus de mal à accepter l'éloignement dû à son appartenance à l'Ost, mais elle aimait trop son métier de soldat pour se décider à quitter les Loups.
Lorsqu'elle séjournait à Varennes, la belle, elle aimait venir discuter en taverne avec Rhemy et sire Matabei...ce qui ne plaisait pas du tout à son époux, chaque jour plus ombrageux et taciturne.
Hersent rangeait ses chemises dans une malle près de la fenêtre, lorsqu'elle leva la tête pour regarder dehors. Le jardin, endormi sous les frimas de l'hiver, était désert, sombre de la terre retournée pour un long repos. Elle eut un accès de tristesse quand un épisode désagréable lui revint en mémoire.
Elle venait d'accepter la proposition du Capitaine Royal Polibe et de la GES Coxynel sur le départ: ils lui avaient demandé si elle acceptait de succéder à Coxynel au poste de GES des Loups. Stupeur et tremblement dans l'âme du lieutenant Hersent qui, honorée d'une telle proposition, son époux étant aux abonnés absent depuis quelques jours, répondit par l'affirmative. Ce qu'elle n'avait pas mesuré c'était la capacité de son époux à accepter l'idée de cette promotion. Certes, au début, il lui dit qu'il était fier qu'elle ait été nommée GES, elle qui n'était que lieutenant, qu'elle avait eu raison d'accepter, qu'il en aurait fait autant s'il avait été à sa place. Puis, très vite, ce fut l'enfer à la maison. Elle ne trouvait la paix qu'à la caserne ou devant une tisane, en taverne, aux côtés de Rhemy. Elle se concentrait sur l'enfant qu'elle portait, celui conçu au coeur de ses douces amours avec le colonel Clemtus, afin de ne pas passer son temps à pleurer...ce qui n'aurait été guère digne d'un soldat de l'Ost.
Vaillamment, elle tint tête à son époux, avec courage, enfin le croyait-elle ainsi, elle argumentait sans cesse pour le convaincre de la laisser mener sa route en tant que GES, avec obstination, elle tenait bon devant les colères et la mauvaise foi de Clemtus....jusqu'à ce que ce dernier lui promette de mettre ses menaces d'orde lancée pour la déstabiliser et d'annulation de mariage à exécution si elle ne présentait pas sa démission du poste de GES. L'approche du terme la rendait fébrile, hyper sensible, aussi, baissa-t-elle les bras et se rendit-elle auprès du CR pour lui annoncer sa décision. Elle redevint lieutenant, la mort dans l'âme.
Son regard se perdait dans le lointain, l'horizon se fondait dans les champs endormis. Ses mains pliaient les chemises et les posaient sans qu'elle y jette un oeil....
Quelle erreur de jugement avait-elle fait ce jour-là! Comme une femme amoureuse peut être aveugle...et idiote. Au lieu de resserrer les liens du couple, la démission de Hersent ne fit qu'aggraver la situation: quelque chose s'était brisé et la tendre complicité laissa place à la routine amoureuse qui éloigne chaque jour les coeurs avant que les corps ne se séparent tout à fait.
Elle repartit en mission pour oublier l'enfer conjugal. Lorsqu'elle revint sur Varennes, pour les fêtes de Noël, Clemtus se comportait comme si elle n'existait pas, il ne voulait même plus entendre parler du bébé...Hersent devenait folle de douleur et de solitude.
Ses yeux s'embuèrent de larmes, le souvenir amer lui remuait encore le coeur et le ventre....
Comme un étrange symbole, Hersent ressentit les premières douleurs de l'enfantement, tard dans la nuit du 24 décembre. Clemtus s'était enfermé à la mairie...lui qui devait l'assister....il était absent et loin d'elle malgré la proximité de la mairie. Heureusement qu'il avait, malgré tout, penser à engager une sage-femme...Hersent put mettre au monde, dans la matinée critalline du 25 décembre, un adorable et merveilleux petit garçon. Elle oublia immédiatement, lorsque la femme qui l'assistait lui posa le bébé sur son ventre avant de le mettre au sein, son ventre torturé par les contractions, ses mains crispées sur les draps lors des poussées violentes, ses hurlements de douleur à chaque avancée du bébé, sa soif inextinguible qu'elle ne pouvait assouvir, et surtout le manque cruel de la présence de son époux. Elle était en sueur, haletante, brisée mais heureuse comme jamais elle n'aurait cru l'être un jour....son ultime cri de souffrance se perdit dans l'étrange plaisir éprouvé lors de l'expulsion du bébé.
Elle sourit à travers ses larmes et se détourna de la fenêtre pour porter son regard vers le berceau où Arthur dormait....